À quoi servent les brochures " papier " ?

Flash back :

en juin 1988 (si tu t’es spontanément écrié « j’étais pas né(e) », je te prie de m’accorder le respect que tu dois aux vieilles personnes comme moi), je faisais mon premier stage en agence de voyage. C’était avant l’arrivée d’internet, à un âge d’or aujourd’hui révolu.

J’avais été accueilli dans une grande enseigne avenue de l’Opéra, surnommée à l’époque « l’avenue des voyages ». Au siècle dernier, tous les réseaux se battaient pour y avoir les meilleurs emplacements. L’agence où j’officiais était d’ailleurs coincée entre une agence Forum Voyage et une enseigne Nouvelles Frontières. Pour le petit provincial que j’étais, faire mon stage ici, c’était la gloire.

On m’avait installé à la première place du comptoir, devant la porte. Je recevais toute la journée des candidats au voyage. S’ils voulaient un simple billet Air Inter, je m’occupais d’eux (en quelques jours de pratique intensive, le système SIRENE/TEMIS n’avait plus de secret pour moi, ce qui m’a permis l’année suivante, mon diplôme en poche, d’intégrer un plateau affaires). S’ils réclamaient un billet de train, je devais les éconduire poliment en expliquant que nous ne distribuions pas la SNCF et en indiquant quels services l’agence était capable de fournir.

La plupart des impétrants qui entraient dans l’agence avaient les bras chargés de brochures et m’en demandaient encore… mon défi était alors de recueillir alors un rapide cahier des charges et de les orienter vers un vendeur confirmé. Presque tous insistaient : ils ne voulaient pas parler à un conseiller-voyages : ils voulaient des brochures. Encore et toujours. Comme j’étais déjà taquin et caustique (et que ma chef d’agence m’avait expliqué qu’on n’était pas des machines à distribuer les brochures), j’avais appris à les titiller « alors, je vois que vous êtes en plein shopping […] montrez-moi ce que vous avez déjà que je ne vous charge pas encore plus […] oh la la, vous en avez de la lecture »

L’idée était (déjà) de nous différencier de nos confrères, de placer évidemment la brochure maison, et dans le cas où j’identifiais un catalogue d’un TO partenaire, je devais discrètement subtiliser la brochure en question, l’ouvrir à la page des produits que l’un des collègues de l’agence voulait pousser, annoter les pages en question et ajouter le numéro direct du collègue qui justement savait bien vendre le produit. Une fois la brochure cornée aux bonnes pages, au moment de la rendre, je devais discrètement poser un autocollant aux couleurs de l’agence (avec nos coordonnées complètes) sur la 4ème de couverture, ce qui permettait de cacher l’autocollant ou du tampon de l’agence concurrente qui avait donné la brochure en question.

C’est ainsi que j’ai appris à démarquer une agence de ses confrères et… à économiser du papier ! j’ai aussi appris à « organiser la remise », c’est-à-dire à entasser les brochures dans un cagibi trop petit pour le nombre invraisemblable de brochures que déversaient tous les jours à l’agence des coursiers.

35 ans après, la plupart des agences en est au même point : une agence reçoit à chaque saison et de la part de chaque tour-opérateur une voire plusieurs brochures, des sélections, des « avant-premières », souvent de fournisseurs à qui elles n’ont jamais rien demandé. Les périodes de mars et septembre/octobre, dites de l’inter-saison sont les pires : il faut alors avoir sous le coude quelques brochures de la saison qui n’est pas encore finie (parce que c’est le jour où on bazarde le stock qu’on a une demande de dernière minute) et avoir déjà les brochures de la saison qui va bientôt commencer.

Depuis que je travaille, j’entends que les tour-opérateurs essaient de se réinventer : brochures en format PDF dont on n’imprime que quelques pages à la demande, catalogue-magazine motivateur d’inspirations et intemporel… pourquoi pas ? essayons toutefois d’aller plus loin encore :

Jean Taibi, qui dirige une agence de voyage à Reims vient justement d’alerter les TO : « arrêtez de nous envoyer des brochures ». L’Echo Touristique a relayé le coup de gueule ici.

Quand j’ai ouvert mon agence il y a 20 ans, je me suis fait une promesse : ne jamais distribuer de brochure. Quand des candidats au voyage entrent dans mon agence et demandent s’ils sont bien dans une agence de voyage (nous n’avons ni poster, ni PLV, ni brochures, ni même étagères pour les poser), je leur confirme que oui, ils sont à la bonne adresse… et à la question « vous avez des brochures ? » je réponds que tout est en nos têtes et qu’on peut leur apporter le meilleur conseil sur leur prochain voyage. Et qu’on n’a pas besoin de papier pour savoir que faire, où et quand…

Si nous n’avons pas de brochure, nous avons en revanche des cartes. Plein de cartes. Des cartes générales de certains pays, des cartes détaillées de certaines régions, des cartes routières que nous remettons à nos clients en autotour (nos clients les plus jeunes nous demandent parfois à quoi elles servent). Il n’y a rien de tel qu’une carte que mes collaborateurs et moi déplions pour expliquer un itinéraire, estimer un temps de route, montrer qu’un hébergement est prêt (ou loin) d’une ville, d’une plage ou d’un lieu d’intérêt touristique…

Nous vivons très bien (presque) sans brochure (seul un croisiériste m’en envoie). Ne pas avoir de brochure ne m’a pas empêché de facturer pour plus de 100 millions d’€ de volume d’affaires en 20 ans et d’avoir à ce jour 12 salariés.

 

Alors, quand passerons-nous au « zéro brochure » ? 

Une réponse

  1. n’utilisant que rarement les TO et n’ayant pas d’agence pignon sur rue, je suis peu concerné à la fois par la réception et la future consommation de “brochures” ….
    cela dit, en tant qu’agv, ayant quand même quelques accès à des sites de TO, j’ai été pour le moins surpris de recevoir sans les avoir demandées quelques paquets de brochures …et ensuite ce fut la croix et la banière pour obtenir qu’ils ne me les envoient plus … la force de l’habitude sans doute, et un bel exemple de gaspillage…

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